Orientation scolaire et professionnelle ?
Thérèse Delhaye
Depuis de longs mois, psychiatres, psychothérapeutes et autres professionnels de la santé font un constat accablant : la jeunesse souffre. Elle souffre de ce temps figé, de ces jours qui se répètent sans leur offrir de répit ou de sens. Elle souffre de la distance et du manque de l’autre, des autres, pourtant essentiels à cette période où la construction d’un réseau social peut faire toute la différence. Elle souffre de cette solitude douloureuse, de cet immobilisme inflexible, de ces règles censées les protéger d’un mal invisible, mais bien réel. Règles qui génèrent d’autres maux, souvent tus, voire moqués par des générations différentes, qui au travers d’invectives culpabilisantes, ne les encouragent pas toujours à en parler.
Combien de commentaires de ce type ai-je découverts sur les réseaux sociaux ? Entendus au détour de conversations auxquelles je choisissais de ne pas participer ? Tous ces mots qui glissent dans mes yeux et mes oreilles, accablés par cette absence d’empathie notoire et d’une comparaison que je ne comprends toujours pas.
Ces « Durant les guerres mondiales, nos aînés ne se sont jamais plaint de ne pas pouvoir sortir ! » Ces « De quoi se plaignent-ils ? Ils ont tout le confort dont ils pourraient rêver ! » Ces « Y en a ras-le-bol des caprices des jeunes ! En plus, ils ne respectent rien ! »
Pourquoi cette colère de la part de certains adultes vis-à-vis de nos jeunes qui vont mal ? Pourquoi ce parallèle avec des événements d’un autre âge qui ont créé dégâts humains et émotionnels, et ont, eux aussi, laissé des traces brûlantes dans l’esprit d’une multitude de personnes ? Pourquoi la douleur que les jeunes ressentent aujourd’hui serait-elle moins légitime que celle des personnes ayant vécu la guerre ?
Mais surtout, pourquoi, pourquoi, pourquoi comparer ? Qu’est-ce que cela apporte de dénigrer la douleur de l’autre de cette façon ? N’est-ce pas là le reflet d’une frustration intérieure, personnelle, qui ne trouve sa place que dans des mots souvent tapés derrière un écran ?
A l’inverse… Ne pourrions-nous pas écouter ? Reconnaître ? Accueillir ces émotions pour ce qu’elles sont ?
Si les jeunes profitaient du confort auxquels ils ont aujourd’hui accès et qu’ils n’avaient pas de « raison de se plaindre », comment expliquer les cliniques pédopsychiatriques saturées ? Comment expliquer l’augmentation des tentatives de suicide ? Comment expliquer cette angoisse fondamentale liée à l’avenir personnel, professionnel et mondial ? Comment expliquer cette difficulté à trouver du sens et de la joie durant cette période qui devrait pourtant être synonyme d’ouverture à ces réflexions ?
La comparaison est partout. Nombre de personnes venant me voir ponctuent le partage de leur histoire de vie difficile par un « Mais bon, je sais qu’il y a bien pire. » Et, comme le souligne Thomas d’Ansembourg dans son dernier livre** (que je conseille à tout le monde), il existe une habitude de pensée qui a la dent dure et qui influence notre comportement et notre rapport au monde : « On n’est pas là pour rigoler ! »
La culture du malheur et la résignation vis-à-vis de celle-ci s’insinue dans différents aspects de nos vies : l’éducation que nous donnons à nos enfants, la religion invoquant la rédemption perpétuelle dans l’espoir d’un monde meilleur après la mort, l’insertion dans le milieu professionnel qui étouffe et étrangle tout le temps plus. Et le pire ? C’est que nous trouvons cela normal. Nous apprenons aux générations futures à culpabiliser de ce qu’elles ont (tout en encourageant la poursuite du bénéfice et du « bon travail » pour avoir une « bonne vie » !), mais aussi à ne pas se plaindre de ce qu’elles n’ont pas. Bref, à demeurer dans un bouillonnement de frustration et de douleur, parce que, c’est bien connu, « la vie est dure ! »
Et si nous faisions les choses autrement ? Et si, à nouveau, nous nous taisions, nous « adultes sachant mieux que ces pauvres jeunes manquant encore cruellement d’expérience », et les écoutions ? Et si nous les écoutions vraiment ?
Leur souffrance ne remet pas en cause celle des autres, ni celle de l’Histoire de l’humanité. Elle est le reflet de cette pandémie qui nous bouleverse tou.te.s, et mérite notre attention.
Les jeunes resteront bien après nous et les enfants qu’ils auront aussi. Qu’avons-nous envie de leur transmettre ? Souhaitons-nous leur apprendre à se taire et brûler de l’intérieur à petit feu, comme tant de générations avant la nôtre ? Ou préférons-nous leur offrir l’espace de parole et d’accueil pour exprimer leurs émotions ? Leur donner l’opportunité de réfléchir à faire les choses autrement, comme la planète semble le demander haut et fort ?
Les jeunes méritent autant de respect que la majorité des adultes en exigent de leur part. Nous avons tant à apprendre les uns des autres. Taisons-nous pour mieux les écouter, pour mieux nous écouter. L’avenir dépend de ce que nous ferons de ce présent, aussi lourd et encombrant soit-il. Prenons-en soin. Ensemble.
--------------------------------------------------------------
** Notre façon d'être adulte fait-elle sens et envie pour les jeunes ? Thomas d'Ansembourg, 2020, aux Editions de l'Homme.
Le sujet vous intéresse ? Jetez un œil à ces autres articles récents.
Thérèse Delhaye
Thérèse Delhaye
Pierre Duray
Voir tous les articles