Certificat médical versus revenu de base?

Anne-Françoise Meulemans

Anne-Françoise Meulemans

Addictions, Adultes, Bien-être au travail, Écoles, Famille - Parentalité, Relations amoureuses et couples, Seniors, Soignants, Haut potentiel- Syndrome Asperger, DYS-TDA-TDA/H-TSA (autisme)

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Avis d’une médecine de ville et de campagne

Avec le déconfinement se multiplient les appels des patients.

Les médecins sont contactés par des parents désirant garder leur enfant malade - ou n’allant pas à l’école - par des patients venant pour un rhume suspect, un état d’anxiété,...autant de raisons valables.

Quelle est la place du médecin?

Le médecin a pour vocation de soigner les gens.

L'Etat lui a donné le pouvoir, le devoir de gérer les certificats médicaux càd de décider qui est médicalement capable de travailler et qui ne l’est pas.

Tout d'abord la définition de l'OMS de l'état de santé :

La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité*

Cette définition pointe déjà l'extrême difficulté de pouvoir apprécier, juger d'un point de vue physique et mental la capacité d'une personne à pouvoir travailler ou non..

Il ne s'agit pas d'observer la radio d'une jambe cassée, (ce serait trop simple), mais d'être confronté à des situations souvent trop complexes que pour pouvoir être évaluées dans le cadre de la consultation .

Telle personne en questionnement professionnel, telle autre qui traverse une séparation difficile recevra, chez un médecin, un “Allez, il faut prendre sur vous, ma p'tite dame”, chez un autre, trois jours de congé, voire quelques mois....

Imaginons des cours de Justice avec une telle disparité dans les peines imposées!

Je crains que les médecins participent sans le vouloir à un système social inégalitaire, dépendant de leur appréciation, leurs valeurs, leur sensibilité.

Quelques situations récurrentes parmi d’autres:

Les indépendants :

En cas de maladie, les indépendants refusent souvent les certificats, ou n’en prennent que de très (trop?) courts, car ils ne disposent pas d’un revenu de remplacement suffisant. Pourtant, si un indépendant est en burnout ou souhaite se réorienter, seul le certificat médical lui assurera une certaine rentrée financière, via sa mutuelle. Alors quel choix pour le médecin?

  • Ne pas faire de certificat car le patient n’est pas malade? Sa situation économique et psychique risquent de se fragiliser. Il recevra alors un certificat.
  • Faire un certificat pour éviter à son patient cette zone de non-droit? Dans ce cas, le médecin ferait donc un “faux”, un certificat de “complaisance”. Triste nom que celui de complaisance. Est-ce ainsi que l’on nomme l'empathie?

Il a le choix entre l'humanité - coupable - et la froide indifférence de l’ “evidence based medecine”.

Les enfants malades :

Un parent vient pour le xème fois avec son enfant malade.

Il a déjà utilisé tout son quota de “certificats de présence auprès d'un enfant malade”.

Pourtant l’enfant a particulièrement besoin de sa présence à ce moment-là.

Que faire?

Renvoyer le parent au travail?

Ou tenir compte du bien-être de l’enfant?

Les enfants malades ne sont pas égaux face aux certificats donnés ou refusés à leurs parents.

Les “ignorants du système”; des laissés pour compte :

Passer par la case “maladie” est souvent indispensable pour assurer sa survie économique.

Certains utilisent le système de manière stratégique et adéquate.

Qu’en est-il de ceux qui n'y ont pas accès, qui en ignorent l’existence ou ne le comprennent pas?

Il y a une médecine pour ceux qui savent... et une autre pour ceux qui ne savent pas.

Les personnes en crise (questionnement existentiel et/ou professionnel) :

Avant, on avait un boulot pour la vie. Ce n’est plus le cas.

La question du sens émerge lors d’un parcours professionnel ou de vie et ne trouve sa place dans notre système que moyennant - nous l’avons vu - un certificat médical, faute d’autre solution.

Dès lors, que faire?

Soutenir - ou ne pas soutenir - ce système qui propose comme seule alternative ; le certificat médical?

Les médecins en burnout, ou en mal d'empathie :

Que se passe-t-il pour ce patient qui tombe sur un médecin lui-même “burnouté” qui, comme à son image, lui recommanderait de “prendre sur lui”?

Le médecin doit prendre soin de lui, pour pouvoir prendre soin de ses patients.

La comparaison est sans doute caricaturale ; confierait-on la justice à des juges mis en examen?

Les revenus inégaux de remplacements :

Il vaut mieux être malade dans une profession que dans une autre ; pour certains, la situation reste confortable.

Pour d'autres, elle est tellement intenable économiquement qu'ils déclinent tout certificat ou le réduisent au strict minimum.

Il est des professions où être malade n'est même pas une option, tant le revenu de remplacement est faible.

La disparité des statuts de congé de maladie est profondément inégalitaire.

Ceux-là, …

qui travaillent trop,

qui ne trouvent pas de travail,

qui trop riches,

qui trop pauvres,

qui gagnent moins dans un mi-temps qu’au chômage

qui, parents,travaillant tous les deux à temps plein, n’ont pas de temps à consacrer à leurs enfants,

qui, grands parents, sont pris en otage pour la garde de leurs petits enfants.

….Entre débordement et vide...

Comment ne pas être indifférent.e à de telles disparités sociales, à de tels inconforts de vie?

Comment ne plus participer à ce système?

Le burnout :

Il y a la place de la psychothérapie, la place d’une aide médicamenteuse.

Mais aucune pilule ne peut remplacer l'expérience d'un retrait du travail, d’une prise de recul nécessaire dont le cheminement peut prendre du temps.

Or ce temps est comptabilisé par un système de contrôle qui n’a pas les moyens de prendre en compte toutes les variables évoquées.

Le rôle de dispensateur de certificats confié au médecin correspond à une défaillance du système qui se retranche derrière le vernis scientifique de la médecine.

L'art de guérir s’inspire sans doute de connaissances scientifiques, mais est tout sauf scientifique.

Il s'agit avant tout de prendre soin de l'autre.

Le soignant devrait juger quel patient a droit ou non au repos.

Cette utilisation du certificat pousse à la victimisation car c’est seulement dans le statut de victime que l’on est reconnu, que l’on est entendu, et que l’on reçoit le privilège cynique du certificat d'incapacité.

On trouve son salut uniquement en passant par la case maladie dans notre triste jeu de société.

L’allocation universelle? Que l’on soit malade, que l’on souhaite faire une pause, que l’on désire donner du temps à sa famille, que l'on veuille rester auprès de son enfant, que l'on veuille juste moins travailler,... avec l’allocation universelle, on ne passerait plus par la case ‘médecin’.

Elle me paraît être une solution moins intrusive, plus équitable, bienveillante, responsabilisante, et qui donnerait plus de liberté et de plaisir au travail

L’allocation universelle balaierait tous ces certificats médicaux.

Le travail retrouverait davantage de sens,

Le statut de mère ou père au foyer serait reconnu,

Certains travailleraient moins,

D’autres trouveraient du travail,

Certains décideraient de passer en pause, sans devoir demander la “permission”,

Une plus grande créativité dans l’organisation du travail s’harmoniserait davantage avec les particularités de chacun,

Les enfants retrouveraient des parents plus disponibles,

Etc...etc...

La société s’en porterait mieux.

Et ainsi, les médecins retrouveraient leur fonction première ; celle de soigner et non de juger.

* Principes énoncés dans le préambule de la Constitution de l'OMS:

  • La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.
  • La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soit sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale.
  • La santé de tous les peuples est une condition fondamentale de la paix du monde et de la sécurité; elle dépend de la coopération la plus étroite des individus et des États.
  • Les résultats atteints par chaque État dans l’amélioration et la protection de la santé sont précieux pour tous.
  • L’inégalité des divers pays en ce qui concerne l’amélioration de la santé et la lutte contre les maladies, en particulier les maladies transmissibles, est un péril pour tous.
  • Le développement sain de l’enfant est d’une importance fondamentale; l’aptitude à vivre en harmonie avec un milieu en pleine transformation est essentielle à ce développement.
  • L’admission de tous les peuples au bénéfice des connaissances acquises par les sciences médicales, psychologiques et apparentées est essentielle pour atteindre le plus haut degré de santé.
  • Une opinion publique éclairée et une coopération active de la part du public sont d’une importance capitale pour l’amélioration de la santé des populations.
  • Les gouvernements ont la responsabilité de la santé de leurs peuples; ils ne peuvent y faire face qu’en prenant les mesures sanitaires et sociales appropriées.

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